Pour avoir une entreprise prospère, il faut répondre à des besoins identifiés auprès d’un public ciblé.
Et une fois qu’on a fidélisé une clientèle pour un premier besoin, on va lancer un nouveau service ou un nouveau produit.
Et puis arrive inéluctablement le jour où on veut élargir son horizon et s’ouvrir à une autre clientèle.
Et là, si prospère que l’activité ait pu être jusqu’à ce moment précis, tout peut basculer vers le pire, en particulier si on fait passer le besoin d’acquisition et de conversion de prospects avant ses valeurs fondamentales.
On en discute aujourd’hui, juste après un petit disclaimer.
Avant-propos :
Cet article fait partie d’une série ayant pour but de sensibiliser et de faire réfléchir sur ce qui peut conduire le meilleur des projets à la faillite, si géniale que l’idée d’origine ait pu être.
Si j’ai choisi de communiquer sur ce thème, ce n’est absolument pas dans une dynamique professorale ou condescendante, bien au contraire.
Il n’y a ici aucun jugement de valeur, mon but n’est pas de pointer du doigt les gens qui tomberaient dans les pièges que je vais décrire au long de ces publications ; ce que je souhaite, c’est partager des expériences, qu’il s’agisse des écueils rencontrés par notre clientèle ou de mes propres échecs.
Certaines personnes le savent, j’ai commencé à entreprendre maladroitement et surtout très jeune, à 12 ans, en toute illégalité au regard de mon âge à l’époque, principalement pour des questions de survie.
J’ai échoué de nombreuses fois, appris tant bien que mal de mes échecs, persisté inlassablement.
Et je souhaite tout simplement communiquer sur ce que j’aurais aimé savoir lorsque j’ai débuté, il y a quelques décennies déjà.
Aussi, je vous invite à prendre ces articles pour ce qu’ils sont : des réflexions et des conseils et pas une tentative de m’ériger en donneurse de leçons.
Précédemment, nous avons vu comment ne pas commencer au mauvais moment et comment ne pas non plus la jouer solo, au risque de se planter en beauté, dès le lancement ou presque.
Aujourd’hui, on va parler d’un autre écueil : celui de ne pas s’aligner sur ses valeurs.
Prétendre avoir des valeurs qui ne sont pas les vôtres.
Qui diable irait prendre le risque de s’inventer des valeurs au risque de voir sa réputation et son entreprise voler en éclats au moment où la vérité se saurait ?
N’importe qui ayant suivi des études marketing (rappelons qu’il s’agit d’une pseudo science récente de manipulation des foules) plutôt que de la communication.
Et tout le monde a déjà expérimenté le résultat, c’est typiquement ce que l’on qualifie de “pinkwashing” (prétention d’être en alliance avec le féminisme quand factuellement aucun engagement n’est pris et/ou des actes misogynes sont monnaie courante dans l’entreprise), greenwashing (équivalent pour l’environnement), queerwhashing, handiwashing, socialwashing, etc.
Parfois, l’impact est relativement dérisoire, comme avec la tentative de greenwashing de Coca Cola avec sa version stévia (prétendument bonne pour l’environnement, jouant sur l’ignorance de l’impact environnemental – mais aussi social et économique – de l’entreprise, notamment au Mexique).
Et parfois, ça peut entraîner des annulations d’événements et des démissions.
C’est ce qu’il s’est produit pour la marque Victoria’s Secret en 2019.
Comme beaucoup d’entreprises au mois de juin, surnommé “mois des fiertés”, au cours duquel ont lieu divers événements en soutien des communautés LGBTQIA+ et de leurs droits, Victoria’s Secret avait tweeté un drapeau queer.
Problème : quelques mois auparavant, le directeur marketing de l’entreprise avait ouvertement refusé d’inclure des mannequins transgenres lors des défilés.
La marque s’est donc retrouvée dans l’inconfortable position de s’afficher inclusive sur le papier et exclusive dans les faits.
Elle a du tout bonnement et simplement annuler son défilé de 2019 et Edward Razek a du démissionner.
Il est toutefois intéressant de noter que Victoria’s Secret a choisi ses valeurs affichées plutôt que son directeur marketing, peut-être pour limiter la casse et éviter une chute drastique de chiffre d’affaires comme vécue par la marque de vêtements Abercrombie and Fitch en 2013, après que les réseaux sociaux avaient déterré des propos du PDG qui expliquait qu’il privilégiait les personnes à l’apparence physique séduisante pour ses publicités et ses vendeurs (“Dans nos magasins, nous voulons des clients minces et beaux.”), une sortie grossophobe dans un pays où l’obésité est courante qui a conduit à un appel au boycott sanctionné par 15% de baisse de son volume de vente et une perte de 10 points en bourse.
Pour éviter ce genre de plongeon dans le bad buzz, il est important d’avoir identifié ses valeurs fondamentales et de s’assurer que tout le monde dans l’entreprise, peu importe son rôle ou son pouvoir, est bien en phase avec elles.
Ensuite, il faut s’assurer que c’est aussi le cas de sa propre clientèle.
Quand c’est la clientèle qui s’avère mentir pour mieux manipuler son monde.
Il y a des expériences dont tout le monde se serrait bien passé.
Et nous ne faisons pas exception en la matière (je vous ai dit, en disclaimer, que ceci n’est pas une leçon donnée, mais plutôt une leçon apprise !) avec une expérience malheureuse qui nous poursuit depuis 2018.
Début 2018, nous avons accepté dans notre clientèle une personne que nous avons décidé, à tort, de croire sur parole quant à son parcours et ses motivations pour faire appel à nos services.
Quelques mois plus tard, nous avons mis un terme au contrat de prestation, après violation des conditions générales dudit contrat et une avalanche de conséquences néfastes nous est tombée dessus, allant de la simple alliance de diffamation et dénigrement, à du harcèlement organisé et de la galvanisation de tiers nous menaçant, en passant par de l’atteinte directe à notre activité et la prise de contact avec notre clientèle.
Dans ce dossier, nous avons commis deux fautes que nous voulons partager avec vous, pour que vous puissiez les éviter si la même situation devait se présenter.
1 – ne pas avoir fait un “background check”.
Il faut reconnaître que c’est un bel exemple de naïveté, nous n’avons pas songé le moindre instant à remettre en question le discours de la personne avec laquelle nous avons travaillé lors de sa prise de contact.
Et au-delà de l’erreur que ça représente, c’était aussi une entorse à nos routines internes : normalement, on fait un “background check”, une vérification de profil si vous préférez, pour nous assurer que rien ne pourrait indiquer que nos valeurs ne sont pas alignées.
Si nous avions réalisé un petit traçage, comme nous vous le proposons désormais en prestation, nous aurions rapidement découvert que la personne qui se présentait à nous comme marginalisée et méprisée par des gens qui ne voulaient jamais lui répondre sur la base d’un validisme crasse était en réalité une personne hautement problématique qui se cachait derrière sa condition pour n’assumer aucun de ses méfaits.
Mais nous n’avons pas pris ce temps (bel exemple de collaboration commencée au mauvais moment) et les conséquences ont été rudes (se chiffrent en plusieurs dizaines de milliers d’euros et en postes supprimés) et le sont encore puisqu’en plus de ne pas avoir vérifié qui était réellement cette personne, sous le poids des conséquences subies, nous avons aussi bêtement décidé de tenter de dialoguer avec des ennemis politiques.
2 – avoir voulu raisonner avec des ennemis politiques.
“Rho mais désormais tout est politique”
Euh… oui… qui dit engagements et valeurs, dit nécessairement politique.
Si vous confondez le fait de “faire de la politique” et d’ “avoir/suivre une politique” on ne peut rien pour vous et votre mauvaise foi, c’est du même niveau que les gens qui crient à l’esprit républicain en fustigeant que le grand public ait son mot à dire sur des décisions prises, comme si la république n’était pas précisément la “chose publique”.
Mais revenons en aux ennemis politiques.
Quand vous affichez des valeurs claires (dans notre cas, au moins l’inclusion des queers et des handis) et que la personne qui vous attaque affiche précisément les valeurs opposées (queerphobie et validisme), à quel foutu moment un dialogue est possible ?
Jamais.
Seulement, lorsque les attaques sont diffamatoires et dénigrantes et qu’on cherche à vous harceler sur la base de mensonges, il y a un sentiment irrépressible de devoir de se justifier.
Mais en fait non.
Au pire du pire, ça va vraiment loin (comme lorsque quelqu’un prend notre prestation “pucelle précieuse”) et la meilleure solution consiste à porter plainte.
Dans tous les cas, filtrez les messages (ce qui est grave ou témoigne d’un acharnement part chez votre avocat, le reste à la poubelle) et… tirez des leçons de cette expérience (qu’est-ce qui aurait pu vous permettre de mieux limiter les dégâts ou prévenir les méfaits et comment le mettre en place pour l’avenir) et avancez.
Ne faites pas comme nous, vous ne voulez pas vous retrouver un matin avec la banque nationale de Grèce qui fait sauter un de vos sites phares sur une accusation frauduleuse de phishing parce que vous avez trop répondu à un ennemi politique qui les a en contact direct.
Et puis après tout, n’oubliez pas : on vit en résistant et résister, c’est lutter pour des choses et non pas contre.
Renforcez vos positions sur vos valeurs et célébrez de déranger du monde parce que si vous ne dérangiez personne, probablement que vous ne feriez absolument rien de votre existence.
Et en avançant, gare à la dernière gaffe possible : vouloir étoffer son offre et s’orienter vers des horizons qui vont vous éloigner de votre clientèle d’origine.
Qui veut aller loin, ne mord pas la main qui le nourrit sans bonne raison.
Avant d’aller plus loin dans ce propos, un petit rappel important : vous avez le droit de faire évoluer vos valeurs.
À aucun moment, ici, il n’est question de dire qu’il faut éternellement camper ses positions.
Et il est parfaitement possible de revoir ses positions sans passer par un bad buzz à plusieurs millions de twee… de posts sur X.
D’ailleurs, il y a au moins une marque relativement commune en France, qui a fait évoluer ses valeurs relativement en douceur dans le temps et c’est… cochonou !
Tout le monde ne le sait pas, mais à l’origine, cette marque n’incluait dans ses publicités que des personnes blanches.
Et pour cause, l’entreprise ne souhaitait pas associer son produit à base de porc avec des personnes possiblement musulmanes.
Le problème de ce positionnement, c’est qu’il nourrissait l’idée que toutes les personnes non blanches étaient nécessairement musulmanes.
Et le problème de changer son fusil d’épaule, c’était prendre le risque de perdre la partie conservatrice de sa clientèle, séduite par ce cliché.
Finalement, la marque a tourné de nouveaux spots, plus inclusifs et a réussi à limiter la quantité de sel en provenance des larmes des quelques irréductiblement bornés discriminants qui traînaient par là.
Alors dans quel cas ça fonctionne moins bien ?
Et bien quand ce que vous contredisez n’était pas implicite et était parfaitement volontaire.
Vous savez, comme par exemple… Netflix ?
L’entreprise avait mis un point d’honneur à affirmer que “contrairement à la concurrence, chez nous, le partage de compte est gratuit”.
Aïe.
Quand l’argument phare pour convertir des prospects en clients fidèles est précisément ce qu’on sacrifie quelques années plus tard au nom de plus de profits, la pilule passe super mal.
S’afficher avec des valeurs d’accessibilité prix, de partage et d’esprit familial, pour augmenter ses prix et taxer le partage avec les autres membres de la famille (de sang ou de cœur), c’est du même acabit que l’ex directeur marketing transphobe de chez Victoria’s Secret, à ceci près que Netflix n’a pas cherché à limiter la casse et que la concurrence s’est fait un malin plaisir d’en faire un running gag.
Alors comment on fait si on s’est plantés dans la définition de nos valeurs ou qu’elles ont magistralement évolué ?
Réajuster ses valeurs : choisir comment on va perdre des followers
On ne va pas se mentir, il n’y a pas quarante façons de faire les choses.
En fait, il y en a, grosso modo, trois.
Méthode 1 : on dit rien, les gens comprendront bien petit à petit.
Alors effectivement, les gens ne sont pas idiots ; si, progressivement, vous passez d’une politique plutôt conservatrice à une politique plutôt progressiste, graduellement, vous aurez des remarques de votre ancienne clientèle, le noyau dur venu précisément pour ces valeurs.
Mais comme pour Cochonou, ça peut se faire sans trop de casse.
Méthode 2 : vous pensez que les gens sont idiots et donc vous voulez jouer la carte de “si c’est pas vraiment nous, ça passe”.
C’est la technique de certains grands groupes qui investissement massivement dans de petites marques (quand ils ne les rachètent pas totalement) avec des valeurs clairement différentes des autres (coucou Coca et Innocent) ou des entreprises moyennes qui gardent la même équipe pour créer une autre entité avec des valeurs vraiment pas similaires.
Et le jour où les gens l’apprennent, ben ça passe mal (oui parce qu’acheter un produit avec une dynamique éthique et écolo, qui appartient à 90 % à une société qui massacre l’environnement et la vie des gens… ça pique quand on le sait).
Méthode 3 : vous vous dites (à juste titre) que de toute façon, tôt ou tard, des gens seront pas contents et d’autres seront heureux et qu’il vaut mieux trancher dans le vif et vous annoncez le changement radical de position.
Et… franchement c’est un pari plus risqué que la première méthode.
Oui, c’est plus honnête et l’honnêteté, c’est bien, sauf que honnête ne doit pas forcément signifier brutal.
Votre changement de valeur ne s’est probablement pas opéré en un seul jour, alors pourquoi vouloir le faire vivre soudainement plutôt que progressivement ?
Là, vous risqueriez de voir fuir toute votre ancienne clientèle, tout en devant attendre de convaincre votre nouvelle cible qui n’a aucune raison de vous croire sur parole quand vous dites avoir compris ce qu’elle veut…
Bref, se positionner et évoluer, ça n’est pas évident.
Mais le maître-mot, ça reste la transparence (loin des manipulations sauce Bernays) et surtout le focus sur ce que l’on souhaite accomplir et atteindre plutôt que sur ce que nous voudrions voir disparaître.
Parce que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, comme le disait Lavoisier.